Marseille: l’expulsion d’un imam salafiste critiquée
Dans le viseur des autorités pour ses prêches, le salafiste El Hadi Doudi, placé dans un centre de rétention depuis mardi, a été renvoyé dans son pays d’origine, l’Algérie. Les portes de la mosquée où il officiait restent fermées.
L’expulsion est effective depuis ce vendredi. L’imam El Hadi Doudi, dans le viseur des autorités pour ses prêches radicaux, a été renvoyé par avion en Algérie, quittant le centre de rétention administratif de Marseille où il attendait, depuis mardi, que l’on statue sur son sort. Le jour même, le ministère de l’Intérieur avait émis à son encontre un arrêté d’expulsion, évoquant «des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes», en l’occurrence les femmes, les juifs, les chiites, les personnes adultères. En ultime recours, son avocat, Nabil Boudi, avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme, pointant les risques encourus par l’imam de 63 ans s’il était renvoyé en Algérie. En vain. «Suite à cette décision, il m’a demandé de me rapprocher des services français pour organiser son départ, a expliqué l’avocat. Il ne voulait plus rester en France, sa déception est énorme…» L’imam et son avocat réfléchissent encore à la possibilité d’introduire un recours devant le tribunal administratif pour faire annuler l’arrêté.
Cette mesure d’expulsion est l’épilogue d’une offensive entamée par les autorités le 11 décembre. Ce matin-là, les fidèles de la mosquée As-Sounna, dans le IIIe arrondissement de Marseille, découvraient placardée sur les portes de l’édifice un arrêté préfectoral détaillé annonçant la fermeture des lieux pour six mois. En cause, les prêches de l’imam El Hadi Doudi, suffisamment radicaux pour, indique l’arrêté, avoir «conduit plusieurs fidèles de la mosquée à rejoindre la zone irako-syrienne ou à se réclamer d’Al-Qaeda». Pour les habitués des lieux, c’est la stupéfaction. «Depuis trente ans qu’il est en France, il n’a jamais prêché ce genre de choses, soutient l’un d’eux. C’est tout l’inverse: c’est nous les anciens qui calmons les jeunes. On a fait un travail auprès d’eux qu’aucun ministère n’a jamais fait !» Plusieurs évoquent même un courrier de François Hollande adressé à l’imam, après ses prises de position condamnant le terrorisme après les attentats de Paris.
Nabil Boudi ne le nie pas, la mosquée marseillaise, à tendance salafiste, trimballe bien depuis des années une réputation sulfureuse. «Mais entre sulfureux, orthodoxe, rigoriste et appel au diable, il y a un fossé, renvoie l’avocat. Est-ce que Monsieur Doudi était hors la loi quand il prêchait ? En quarante ans en France, il n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale !»
«Quand on gratte le vernis, on ne trouve rien»
Le ministère de l’Intérieur fait une tout autre lecture du personnage. Pour appuyer la procédure d’expulsion, les services de renseignement ont versé au dossier une note épinglant 25 prêches prononcés entre 2013 et 2015 par El Hadi Doudi. «Cette note n’est étayée par aucun élément objectif, affirme Nabil Boudi. Dès lors, il devenait difficile pour lui de contester quelque chose qui n’existe pas.»
Pour M’hammed Henniche, la vérité est «entre les deux». Le secrétaire général de l’Union des Associations musulmanes de Seine-Saint-Denis connaît El Hadi Doudi et a eu l’occasion d’écouter plusieurs de ses prêches. Surtout, son association avait joué les intermédiaires lorsque l’Etat, comme à Marseille, avait décidé de fermer à Stains une mosquée dont l’imam était lui aussi jugé trop radical. A l’issue d’une action devant le tribunal administratif, l’imam contesté a été remercié, mais la mosquée a pu rouvrir. «Les services de renseignements connaissent très bien l’islam de France, soutient M’hammed Henniche. Le problème, c’est que ce n’est pas le cas des politiques, qui ont besoin de mettre en avant ces fermetures pour coller à leur agenda. Mais quand on gratte le vernis, on ne trouve rien. Pour eux, le salafisme est devenu un fourre-tout.»
Lui explique ainsi que la mouvance salafiste dont est issue El Hadi Doudi condamnerait catégoriquement le passage à la violence: «Les terroristes sont appelés mécréants ou chiens de l’enfer, là où d’autres courants de l’islam ne vont pas jusque-là…» insiste-t-il. Pour lui, si radicalisme il y a chez l’imam marseillais, c’est sur d’autres sujets: «Par exemple, appeler ses fidèles à ne pas se mélanger avec l’autre sexe, ou ne pas aller dans une soirée où on sert de l’alcool, où les filles dansent, etc. Si c’est ce qu’on lui reproche, ce sont de vrais arguments. Mais alors, que les politiques soient francs et ouvrent le débat: est-ce que ce type d’islam, qui ne prône pas la violence, est toléré en France ? Là, en parlant de prêches incitant à la violence, on nourrit la colère des fidèles qui ont entendu le contraire.»
La colère est d’autant plus forte que la mosquée marseillaise affiche porte close. «Si on reproche quelque chose à l’imam, pourquoi ne pas l’expulser et laisser la mosquée ouverte, s’énerve un fidèle. Pourquoi nous punir nous ?»
Source : Libération