Ils vont nous pourrir le Ramadan !

À croire que cette année ils se sont donnés le mot pour nous pourrir le Ramadan. Cinq jours avant de commencer à jeûner le mois sacré, au Royaume-Uni cette fois, un « terroriste musulman » a eu le mauvais goût de se faire exploser publiquement au sortir du concert d’une « idole » contemporaine de pop music. Ses malheureux coreligionnaires, et moi, et moi, et moi, se seraient bien passés d’être rappelés au bon souvenir de ceux qui ne peuvent déjà pas les blairer épidermiquement en vertu du « tous les Musulmans ne sont pas des terroristes mais tous les terroristes sont musulmans ». Comme tous ceux qui l’ont précédé dans ce type de délire  – et qui, martelons-le, ne pratiquaient l’Islam que le trente-deux du mois ou la semaine des quatre vendredis – il est passé à l’acte de façon autant inconséquente qu’inutile. Mais peut-être que celui-là s’est pulvérisé parce qu’il ne pouvait tout simplement pas supporter l’idée d’avoir à se priver de bouffer pendant un mois. Sait-on jamais !

Plus sérieusement et inévitablement, c’est la Communauté musulmane, dont la bombe humaine est supposée être issue, qui va à nouveau subir le contrecoup de son geste insensé. À commencer par les réactions haineuses des anti-Islam et consorts, dont le nombre croît de façon exponentielle après de tels actes, lesquelles s’expriment désormais ouvertement sur les biens et les personnes. Et sans oublier les mesures démagogiques du Pouvoir, censées rassurer les concitoyens, à plus fortes raisons en période électorale, qui se doivent d’être à la hauteur des espérances de la vindicte populaire envers tous les adeptes de l’Islam sans exception : Prolongation et mutation de l’état d’urgence en extrême urgence, renforcement de la loi antiterroriste, multiplication des fichages « S », (ex)actions policières spectaculaires, fermetures de lieux de culte salafisto-compatibles et assignations ou incarcérations des boucs émissaires les plus récalcitrants. Et tout ce pataquès sans obligation ni garantie de résultat puisque, tout le monde en convient, le risque zéro n’existe pas.

La coercition et la pression sociale n’engendrant que de l’hypocrisie, durant le mois de Ramadan les Croyants doivent rechercher volontairement les avantages physiques et spirituels du jeûne par un contrôle accentué du comportement,[1] par une augmentation des bonnes actions et un abandon total des mauvaises, par une maîtrise des pulsions et par une prise de conscience de la condition des plus défavorisés. Il est déplorable que certains Musulmans flemmardent la journée pour mieux supporter la privation et s’adonnent le soir à des ripailles et des réjouissances retentissantes[2], d’autant plus que leurs détracteurs examinent minutieusement leurs actions et ne voient dans les allègements de tâches et les aménagements de temps de travail « ramadaniques » que baisse de productivité si ce n’est danger. N’étant pas à une contradiction près, d’un côté ils minimisent la pénibilité d’un jeûne diurne qu’ils estiment  – sans jamais l’avoir expérimenté – largement compensé par des festins nocturnes, et de l’autre, ils dénoncent les graves conséquences de la privation de nourriture sur la santé, sur l’absentéisme ou la productivité, voire sur les accidents du travail et de de la circulation.

Néanmoins, n’éludons pas hypocritement les petites bisbilles annuelles de détermination de début et de fin de Ramadan où tout un chacun expose son argumentation pour prouver qu’il a la plus grosse. Les plus fondamentalistes (par conviction ou par esprit de contrariété pour certains) donneront leur préférence à une vision claire de la lune[3] (comme mon ami Pierrot[4]) et ne la calculeront pas outre mesure. Par opposition, pour les plus progressistes (par modernisme voire par mimétisme occidental), la définition mathématique doit théoriquement prévaloir sur la détermination physique. Mais, en réalité, immanquablement, l’incompétence et la paresse prennent chaque année le pas sur les affrontements juridiques et les beaux discours ; en effet,  les « décisionnaires » de la nuit du doute ne font que calquer leur décision sur celle du pays musulman de leur choix ayant déclaré officiellement sa vision du croissant de la nouvelle lune. Je n’en dirais pas plus, pour ne pas vous pourrir le Ramadan.

Daniel-Youssof leclercq

[1] « Celui qui ne renonce pas à dire des mensonges, ni à pratiquer des faussetés, DIEU n’a nul besoin qu’il s’abstienne de boire ou de manger. » (Boukhary 30/8/1 – 78/51/1) « Le jeûne est un refuge (contre l’Enfer). Aussi, lorsque l’un de vous est en état de jeûne, qu’il s’abstienne de se comporter avec grossièreté et ignorance, et si quelqu’un l’agresse ou l’insulte, qu’il dise :  » Je suis en état de jeûne « , en répétant cela deux fois.» (Boukhary 30/2,9/1 – 97/35/2 – 97/50/3). «Et mangez et buvez; mais pas d’excès ! IL (Allah) n’ aime pas les excessifs. » (Coran 7 :31).
[2] D’où l’expression populaire « faire du ramdam ».
[3] « Ne jeûnez pas avant d’avoir vu le croissant de lune et ne rompez pas avant de l’avoir vu. S’il y a des nuages faites une supputation. Le mois a vingt-neuf nuits. Ne rompez pas le jeûne avant d’avoir vu le croissant de la lune. S’il y a des nuages, achevez le nombre de trente (jours). » (Boukhary 30/5/3, 30/11/1-4).
[4] https://lc.cx/iuNE

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